L’âme portugaise est venue me trouver. Elle m’a révélé — j’emprunte à Fernando Pessoa — la nécessaire multiplicité de l’être et la dignité, vertu première des Portugais, empreinte mêlée d’humilité et de noblesse.
Depuis bientôt trente ans, j’ai pu porter un regard venu de l’extérieur sur l’évolution artistique et politique de la musique portugaise, cheminer avec les artistes de ce pays qui accompagnent et enrichissent aujourd’hui ma vie de musicien. Je souhaite ici rendre hommage au mouvement MPMP, évoquer mon bonheur d’être édité par eux depuis cinq ans et témoigner de la légitimité de leur projet. Je veux dire ici mon admiration pour la mission essentielle qu’ils se sont donnée afin que le patrimoine portugais poursuive son chemin dans les consciences, résonne dans nos sensibilités et accède à une reconnaissance nationale et internationale.
Lorsqu’en 1991, je rencontrai pour la première fois les compositeurs portugais à Lisbonne, une aventure fondatrice commença, je ne pouvais mesurer à l’époque l’implication qui en découlerait pour mes choix artistiques. Juste après la fin de mes études à Paris, c’est grâce aux premiers contacts avec des interprètes portugais, des manuscrits, des professeurs, des compositeurs et des passionnés que l’étendue insoupçonnée du répertoire portugais ouvrit ses portes à ma curiosité. Mes relations d’amitié se sont sans cesse renforcées au fil des années. Parmi les rencontres importantes qui ont stimulé et confirmé le désir d’approfondir ma connaissance de la musique portugaise, il y a eu notamment : Fernando Lopes-Graça en 1991 puis Alexandre Delgado, Sérgio Azevedo, Fernando Lapa, Carlos Marecos et, il y a six ans, Edward Luiz Ayres d’Abreu.
Cependant, si la relation humaine a été fondatrice, j’oublierais un élément très important en n’évoquant pas la collection discographique Portugalsom. L’effort nécessaire et pionnier des années 1980, impulsé par le Ministério da Cultura pour développer une politique d’enregistrements, a permis une prise de conscience et ouvert un univers large et fascinant. Il y avait déjà dans la collection Portugalsom tout un ensemble déjà significatif d’œuvres, telle une fenêtre ouverte sur un répertoire extrêmement riche non seulement pour le pianiste venu de France que j’étais mais aussi pour les futures générations de jeunes musiciens portugais.
Ainsi, s’est rapidement manifestée en moi une grande volonté de rechercher, de comparer, de déchiffrer, de lire, d’écouter qui perdure sans relâche depuis 25 ans. Quelle révélation extraordinaire pour un interprète d’aller puiser dans les bibliothèques, de rencontrer les manuscrits, de découvrir un répertoire de piano de si grande qualité, de réaliser les affinités culturelles si étroites entre nos deux pays ! Il y avait tant à connaître : les œuvres symbolistes de Francisco de Lacerda, les manuscrits de Fernando Lopes-Graça ou d’Armando José Fernandes, la musique de chambre de Luiz de Freitas Branco, l’œuvre pour piano de Luiz Costa, les symphonies de Joly Braga Santos… Tous ces grands artistes constituent un univers culturel fort, intelligent, sensible mais encore très méconnu hors des frontières, un univers qui résonne comme une réponse musicale à la poésie d’un peuple, d’une terre et d’une grande littérature. C’est en réponse à cette révélation profonde, avec la volonté d’interpréter certains compositeurs et de partager ce patrimoine que j’ai créé en France la collection Le Piano Portugais chez Coriolan.
Il y a dix ans, naissait MPMP, je dirais même qu’il fallait que naisse MPMP pour approfondir et moderniser la démarche essentielle initiée au Portugal dans les années 80, celle de la valorisation des compositeurs du patrimoine portugais. Ouvert à tous les langages, MPMP n’a cessé de faire croître sa légitimité depuis dix ans. Aujourd’hui, je suis extrêmement heureux de voir ce mouvement se développer de façon si structurée et intelligente. Le mouvement porte sans relâche des projets, des programmes, des saisons de concerts, des éditions de partitions et des enregistrements souvent remarquables comme ceux de Carlos Seixas, de João Domingos Bomtempo, de Ruy Coelho, d’Alfredo Keil… Le Portugal a besoin de cette vision éditoriale réfléchie, contemporaine et novatrice.
MPMP se bâtit avant toute chose sur l’amour de la musique. L’équipe avance par la volonté, jeune et entreprenante de leurs créateurs. Le projet est une exceptionnelle initiative privée qui prend sa source dans la vision initiatrice des pionniers et dans la poursuite d’un travail éditorial, aujourd’hui enrichi par la création contemporaine. C’est un véritable renouveau dans l’édition au Portugal, impulsé grâce à une génération de musiciens talentueux.
Ensemble, nous nous rencontrons en 2014 autour du projet Severa, o fado de um fado. L’écoute attentive de Edward Luiz Ayres d’Abreu, tout comme celle de Duarte Pereira Martins, s’échange dans la confiance, débouchant l’année suivante sur un CD réussi et créatif. Le projet du double album Lisboa Paris édité en 2017 a, quant à lui, l’ambition de réunir les deux facettes de ma vision commune entre France et Portugal, c’est un disque qui symbolise nos croisements culturels. Nous avons tant à apprendre les uns des autres : les artistes français ont apporté à la modernité portugaise au début du 20e siècle et au 21e siècle, en juste retour des choses nous découvrons la richesse de la musique portugaise et le dynamisme de la création contemporaine. Cette édition Lisboa Paris en double CD a été immédiatement validée par la direction de MPMP qui partage aussi cette idée que la culture et la musique sont un perpétuel échange des sensibilités, de l’histoire et des valeurs communes.
En évoquant ici le projet MPMP et en parallèle l’âme du Portugal, pays de poètes merveilleusement inspirés mais également pays de musiciens talentueux, nourris de cette lumière si particulière, je suis heureux de penser aux futures aventures essentielles que nous mènerons ensemble. Construire une carrière d’interprète, une carrière de compositeur ou d’éditeur avec cette nécessité primordiale de mettre la beauté et la musique au centre des motivations communes, d’oser toujours la création comme acte politique, sont des valeurs qui symbolisent ce qui me rapproche du mouvement MPMP.
Aujourd’hui, je sais que ce sont des compagnons toujours à l’écoute et prêts à envisager un projet musical inédit. En tant que musicien, cela me rend simplement heureux. Je leur souhaite dix merveilleuses prochaines années qui seront, elles aussi, essentielles pour la musique et pour nous tous.
Artigo escrito no âmbito
do 10.º aniversário do MPMP